Elle a joué le rôle délicat de « facilitatrice ». Nous avons eu l’occasion de l’interviewer à la fin des travaux synodaux de la première session du Synode, du 4 au 29 octobre 2023.
« Je m’appelle sœur Paola N., je suis Sœur de la Charité de Sainte Jeanne Antide Thouret, je viens de la Province religieuse de l’Afrique Centrale et je suis originaire du Tchad« .
Pouvez-vous nous parler de votre expérience des travaux synodaux?
« Je peux dire que l’expérience de ce Synode a été vraiment extraordinaire pour moi.
J’ai dû m’absenter de ma paroisse pendant un mois, mais je ne regrette pas d’avoir passé ce mois à Rome, car ce fut vraiment une expérience très enrichissante, tant du point de vue de la culture que de la foi. C’était une expérience très intéressante ».
Quel a été son rôle en tant que facilitatrice?
« Au Synode, nous étions là en deux catégories de personnes. Il y avait les membres du Synode et les experts. Et parmi les experts: les théologiens et les experts facilitateurs dont je fais partie. La présence des facilitateurs se justifie surtout parce qu’il s’agit d’une nouvelle méthode.
Les évêques ont toujours eu l’habitude de se réunir en Synode et même dans l’Eglise nous avons toujours eu l’habitude de nous retrouver, de discuter des thèmes, de partager, de prier. Mais cette fois-ci, le pape a voulu que, au Synode, il y ait une nouvelle méthode qui s’appelle la conversation dans l’Esprit, et c’est tout à fait différent des autres échanges dans les carrefours que nous avons l’habitude de vivre. Pour cette conversation dans l’Esprit, les participants au Synode, sont appelés à se mettre à la disposition de l’Esprit Saint dans les moments de silence, dans les moments de prière et à avoir eu une préparation préalable avec une explication des textes et de la Bible, d’une Parole pour les aider à rentrer dans un climat de discernement commun.
Alors, le rôle du facilitateur est de s’assurer à ce que les participants prennent l’habitude d’entrer progressivement dans cette méthode et de l’utiliser pour arriver à un discernement, pour arriver à une proposition qui est commune ».
Quelles nouvelles ce Synode sur la synodalité apporte-t-il ou pourrait-il apporter, pour une Église « plus proche des gens, moins bureaucratique et plus relationnelle »?
« C’est le Synode a été voulu par le pape, ce Synode particulier a été voulu parce que nous savons que le pape François, depuis qu’il est élu comme pape, a toujours essayé de redonner une nouvelle image à l’Eglise.
Il avait bien dit au début du Synode que nous ne sommes pas là pour faire une révolution, que nous ne sommes pas là pour prendre de grandes décisions. Mais en réalité, ce Synode a été un Synode où tous les membres, toute l’Eglise a été invitée à rentrer dans cette manière de penser, où l’Esprit Saint habite le coeur de chaque baptisé. Et pour les questions importantes qui engagent la vie de l’Église, tous les baptisés sont invités à réfléchir ensemble et à discerner pour arriver à des solutions communes. Raison pour laquelle ce Synode est vraiment le Synode du peuple de Dieu et cela n’a pas été seulement en théorie, mais concrètement.
Si vous voyez la disposition dans la salle du Synode, dans la salle Paul VI, nous étions assis autour des tables rondes et sur chaque table, on pouvait trouver un cardinal, un évêque, un… ou une jeune fille, une femme, un laïc, un religieux. Donc, sur cette table, il n’y avait pas de hiérarchie. Il n’y avait pas de protocole. C’était tout simplement des chrétiens assis ensemble pour prier, pour réfléchir et pour discuter et pour s’offrir mutuellement des réflexions. Un grand espace a été donné à l’écoute de tous. C’est pour cela que le Synode est caractérisé vraiment par un Synode où tout le monde est mis sur le même plan ».
Les pauvres, protagonistes du chemin de l’Église. La préface du Document de Synthèse révèle l’attention portée au « cri des pauvres, de ceux qui sont forcés de migrer, de ceux qui souffrent de la violence ou qui subissent les conséquences dévastatrices du changement climatique ». Les Sœurs de la Charité ont toujours été attentives au cri des pauvres (y compris les migrants, un point également abordé par le Synode) et au cri de la terre. Comment cette attention peut-elle être renforcée à la lumière du travail du Synode?
« Avant de dire quelles conséquences ce Synode peut avoir sur notre manière d’être avec les pauvres, comme Soeur de la Charité, je voulais revenir sur les deux buts de ce Synode.
C’est à dire le Synode nous a aidé à intégrer une nouvelle méthode qui est celle d’apprendre à marcher ensemble. Et le Synode nous a aussi fait découvrir l’importance de l’écoute, l’écoute de la parole de Dieu et l’écoute de l’autre, grâce à cette méthode de la conversation dans l’Esprit Saint.
Nous les Soeurs de la Charité, nous avons toujours été aux côtés des pauvres, nous avons toujours vécu notre appel à suivre le Christ. Ce Synode va nous aider. Ce Synode va nous aider à mettre en valeur le fait de ne pas marcher pour les pauvres, mais plutôt marcher avec les pauvres dans une plus grande sensibilité, à les écouter, à essayer d’être vraiment avec eux et d’avancer ensemble avec les pauvres ».
Tous disciples, tous missionnaires. Dans le document de synthèse, nous lisons à nouveau : « Après un mois de travail, le Seigneur nous appelle à retourner dans nos Églises pour vous transmettre à tous les fruits de notre travail et pour continuer le chemin ensemble ». Le travail sur la synodalité était lié à la nature missionnaire de l’Église. Comment apporter de la nouveauté dans les paroisses et les diocèses grâce à l’esprit de mission?
« Alors oui, le Synode nous a fait sentir très fortement notre être missionnaire ensemble et pour nous qui avons vécu cette expérience au Synode, ce qui va vraiment être la première transmission de notre part au peuple de Dieu, c’est essayer de faire entrer dans cette méthode de la conversation dans l’Esprit Saint qui aide les personnes à marcher ensemble.
Nous sommes envoyés vers le peuple de Dieu pour que ce peuple de Dieu se rende compte que, ce qui est la parole missionnaire du chrétien, c’est la communion que nous vivons entre nous, et la communion que nous vivons entre Dieu et son peuple.
Et donc le premier message que nous avons à transmettre est cette communion que nous avons expérimentée pendant le temps de Synode. Nous avons redécouvert que c’est beau d’être ensemble. C’est beau de vivre en frères et soeurs ensemble. C’est beau d’essayer de discerner ensemble et d’avancer ensemble. Donc ça, c’est le premier message que nous avons à transmettre au peuple de Dieu et la première chose que nous allons essayer de communiquer avec ce que nous avons appris.
Ensuite, il y a eu beaucoup de thèmes qui ont été abordés, plusieurs… Le document de synthèse (la traduction française est autour de cinquante pages). Donc ça veut dire que ces différents thèmes vont être transmis. Et le peuple de Dieu doit connaître de quoi avons nous parlé au Synode et l’année prochaine quand nous allons nous retrouver nous reprendrons ces mêmes thèmes, mais avec la participation, la contribution de ceux que nous aurons rencontrés dans nos différents milieux de vie. Comment réagissent ils? Comment ont-ils pris ces thèmes? Comment ont-ils accueilli ce que le Synode a produit comme résultat de discernement? »
J’imagine que les expériences de toutes les personnes qui étaient autour de la table ont également enrichi ce type de voyage, il n’y avait pas seulement leurs propres singularités, mais ils ont rencontré ce qui était des territoires et des expériences différents. Comment avez-vous trouvé cela au sein des tables de travail?
« On a une très, très grande richesse de ce Synode, c’est aussi la diversité, parce que sur chaque table, la table était composée par une douzaine de personnes. Sur chaque table, c’était rare de trouver des personnes qui viennent d’un même pays ou d’une même réalité culturelle. Nous étions vraiment mélangés et la première semaine que nous avons passée était dédiée à une sorte de don à l’autre de mon expérience d’Eglise, de mon expérience de synodalité ou de marcher ensemble.
Parce que la synodalité, ce n’est pas seulement cette année que nous avons commencé à en entendre parler. C’est depuis deux mille vingt et un que nous avons commencé à essayer de voir ce que c’est que la synodalité à la lumière de nos vécus, nos différentes expériences d’Eglise et donc la première semaine a été dédiée au récit. Chacun doit partager ce qu’il a vécu comme expérience de synodalité dans son Eglise et donc, faire don aux autres membres du groupe, de son expérience. Nous nous sommes écoutés mutuellement et cela a été un très, très grand enrichissement. C’est pour cela qu’au début, je disais que ce Synode vaut une expérience spirituelle, mais aussi une très grande expérience culturelle, parce que nous nous sommes mutuellement beaucoup apportés.
Il y a des réalités. Nous sommes tous des chrétiens. Nous avons tous été baptisés mais baptisés dans nos différents milieux. Nous avons essayé de vivre notre vie chrétienne dans des milieux complètement différents, très différents. Et cela a été un grand enrichissement parce que chacun a essayé d’être chrétien avec le contexte culturel, avec ce que la société lui permet d’expérimenter comme joie, comme difficulté, comme contrainte, comme défi pour sa ‘propreté’ (sa particularité propre). Et cela nous a beaucoup enrichi ».
Les femmes dans la vie et la mission de l’Église. Nous lisons dans le document de synthèse: « Nous voulons au contraire promouvoir une Église dans laquelle les hommes et les femmes dialoguent pour mieux comprendre la profondeur du dessein de Dieu, dans laquelle ils apparaissent ensemble comme des protagonistes, sans subordination, ni exclusion, ni concurrence ». Comment ces innovations ont-elles été vécues dans les travaux auxquels vous avez participé?
« Alors je peux dire que généralement, le thème sur la place de la femme dans l’Eglise a été vécu avec un certain climat de sérénité, même si les tensions n’ont pas manqué. Surtout, nous les femmes avons accueilli ce moment de partage dans les groupes, comme un nouveau souffle que l’Eglise veut donner à la femme dans l’Eglise.
Et beaucoup de femmes, et aussi beaucoup d’hommes dans l’assemblée, dans les groupes, ont vu ça comme une opportunité que l’Église donne pour rétablir, pour réhabiliter la femme dans sa place de baptisée dans le peuple chrétien. Et bien sûr, dans les détails des débats ou bien dans les points précis, il y a eu un peu de tension parce que c’est comme si on voulait réduire ce thème à l’accès des femmes au ministère ordonné, à l’accès des femmes… Or, la question ne se limite pas à ça. C’est plutôt redonner à la femme sa place dans l’Eglise, ce qui est bien accueilli par tout le monde ».
Voulez-vous nous parler d’une expérience particulière que vous portez dans votre cœur à la fin de cette expérience de la première phase synodale?
« Oui, personnellement, je peux dire que j’ai vécu le Synode comme une parenthèse dans l’histoire de l’Eglise, où tout s’arrête. L’Eglise marque un arrêt pour rentrer dans sa vie et voir ce qui marche bien et ce qu’elle doit améliorer. Donc, dans cette parenthèse de l’Eglise en général, je me retrouve comme une personne privilégiée parce que, comme je le disais, je viens de l’Afrique. Je viens d’une zone d’Afrique où la pauvreté, la misère fait partie vraiment du quotidien de tout le monde; où il y a les guerres dont personne ne parle ; où il y a des souffrances infligées aux populations dont personne ne parle.
Et moi qui viens de ce coin, inconnu du monde, de ce coin reculé du monde et qui me retrouve dans cette grande assemblée du Vatican en train de parler de mon expérience, de parler de la vie de mon Eglise, et de voir aussi comment les autres vivent comme chrétiens, comme personnes consacrées, comme disciples de Jésus Christ. Cela vraiment a été quelque chose d’extraordinaire pour moi et je le vis comme une grâce particulière pour cette année 2023.
Et une autre chose que je voulais dire pour montrer l’importance de ce Synode, c’est à dire que nous étions des chrétiens toutes les générations confondues parce qu’il y avait des membres du Synode qui avaient plus de quatre vingt ans. Il y avait des membres qui avaient vingt-cinq ans, donc toutes les générations étaient réunies.
Il y avait la présence des représentants des églises protestantes et cela a été une grande découverte pour moi, parce que j’ai eu comme impression que l’oecuménisme c’est-à-dire ce rapprochement entre catholiques et protestants, dans nos milieux africains, nous le vivons différemment.
Donc cet oecuménisme avance à deux vitesses différentes ; ici les représentants des églises protestantes que j’ai côtoyé pendant le Synode sont des Européens et je sens que pour eux, le rapprochement avec l’Église catholique se fait d’une manière plus rapide et c’est plus facile pour eux. Et c’est le contact et les échanges avec tous ces protestants qui nous font découvrir l’importance de la communion, l’importance d’être ensemble, et certaines valeurs chrétiennes qu’ils vivent. et que peut-être chez nous, les catholiques, c’est un peu délaissé. C’est un peu oublié par exemple ils parlent de l’inspiration, le sens de la foi, c’est à dire chaque chrétien est capable de lire la Parole de Dieu, de comprendre ce que l’Esprit Saint inspire, et de pouvoir partager aux autres. Et nous, les catholiques, par exemple le dimanche, c’est l’homélie, c’est le prêtre qui la fait. On attend toujours que ce soit le prêtre qui interprète la Parole, qui explique la Parole de Dieu. Les protestants le vivent d’une manière plus libre, c’est à dire qu’ils donnent plus d’importance à cette compréhension de la foi chrétienne par chaque baptisé. Et ça, c’est cette familiarité que nous avons vécu avec ces églises séparées pendant le Synode ç’a été une grande découverte pour moi. Et je voulais aussi parler des rites.
Parce que dans l’église catholique, il y a plusieurs rites. Il y a le rite latin, le rite copte, le rite maronite, le rite melkite, plusieurs ; alors Il y avait aussi tous les représentants de ces rites et nous avons même eu une messe célébrée dans un rite qui n’est pas latin. Et ça, ça nous a aidé à découvrir la valeur des symboles, la valeur de tous les rituels que nous vivons pendant la messe et la richesse que les autres peuvent nous apporter. Donc c’était aussi une grande découverte dans le sens de l’oecuménisme, dans le sens des différents rites qui existent dans l’Eglise ».