En tant que Sœurs de la Charité, nous voulons mettre l’accent sur certains passages du discours du Pape du 7 juillet 2024. Le contexte du discours était local – la 50ème Semaine Sociale des Catholiques, à Trieste – mais sa signification est globale. En tant que famille charismatique – Sœurs de la Charité et Amis de Sainte Jeanne Antida – nous voulons revenir pour réfléchir, discuter de ce discours, nous laisser impliquer dans « une autre vision du monde, la vision commune ».

En ce moment historique particulier, l’avenir de l’humanité passe par là : pour une autre et différente vision du monde, une vision commune, inclusive, nourrie « par le courage de se penser comme un peuple ».

À cette fin », affirme le pape, « les principes de solidarité et de subsidiarité restent féconds. Tandis que l’attitude welfariste est mise au banc des accusés :

« En effet, un peuple est uni par les liens qui le constituent, et ces liens sont renforcés lorsque chaque personne est valorisée. Chaque personne a de la valeur, chaque personne est importante. La démocratie exige toujours que l’on passe de la partisanerie à la participation, des applaudissements au dialogue. « Tant que notre système socio-économique produira une victime et qu’il y aura une personne rejetée, la fraternité universelle ne pourra pas être célébrée. Une société humaine et fraternelle est capable d’œuvrer pour que, de manière efficace et stable, chacun soit accompagné sur le chemin de sa vie, non seulement pour subvenir à ses besoins de base, mais pour qu’il puisse donner le meilleur de lui-même, même si sa performance n’est pas la meilleure, même s’il va lentement, même si son efficacité n’est pas grande.

Chacun doit se sentir partie prenante d’un projet communautaire, personne ne doit se sentir inutile. Certaines formes de welfarisme qui ne reconnaissent pas la dignité des personnes… Je m’arrête au mot welfarisme. Le welfarisme, à lui seul, est l’ennemi de la démocratie, l’ennemi de l’amour du prochain. Et certaines formes de welfarisme qui ne reconnaissent pas la dignité des personnes sont de l’hypocrisie sociale. Ne l’oublions pas. Et qu’est-ce qui se cache derrière cet éloignement de la réalité sociale ? Il y a l’indifférence, et l’indifférence est un cancer de la démocratie, une « non-participation ».

Le courage de se penser en tant que peuple exige une implication, une participation active, consciente et créative dans l’initiation et l’accompagnement des processus de changement à partir d’une vision inclusive et responsable « de l’ensemble ». Cette fois, ce sont la défense des privilèges, les choix identitaires, les protestations idéologiques qui sont sur le banc des accusés :

« La deuxième réflexion est un encouragement à participer, pour que la démocratie ressemble à un cœur guéri. C’est ceci : j’aime à penser que dans la vie sociale il faut autant guérir les cœurs, restaurer les cœurs. Un cœur guéri. Et pour cela, il faut exercer la créativité. Si nous regardons autour de nous, nous voyons tant de signes de l’action de l’Esprit Saint dans la vie des familles et des communautés. Même dans les domaines de l’économie, de l’idéologie, de la politique, de la société.

Pensez à ceux qui ont fait de la place aux personnes handicapées dans une entreprise ; aux travailleurs qui ont renoncé à l’un de leurs droits pour empêcher le licenciement d’autres personnes ; aux communautés d’énergie renouvelable qui promeuvent l’écologie intégrale, même en accueillant des familles en situation de pauvreté énergétique ; aux administrateurs qui favorisent la natalité, l’emploi, les écoles, les services éducatifs, les logements accessibles, la mobilité pour tous et l’intégration des immigrés. Toutes ces choses ne s’inscrivent pas dans une politique sans participation. Le cœur de la politique, c’est la participation. Et c’est ce que fait la participation, une prise en charge de l’ensemble ; pas seulement de la charité, une prise en charge de ceci ou de cela…, non : une prise en charge de l’ensemble !

La fraternité fait fleurir les relations sociales et, d’autre part, prendre soin les uns des autres exige le courage de se considérer comme un peuple. Il faut avoir le courage de se considérer comme un peuple et non comme moi ou mon clan, ma famille, mes amis. Malheureusement, cette catégorie – « peuple » – est souvent mal interprétée et « pourrait conduire à l’élimination du mot même de démocratie » (« gouvernement du peuple »). Pourtant, pour affirmer que la société est plus que la simple somme des individus, nous avons besoin du terme « peuple » », qui n’est pas du populisme. Non, c’est autre chose : le peuple. En effet, « il est très difficile de planifier quelque chose de grand à long terme si l’on ne parvient pas à en faire un rêve collectif ». Une démocratie au cœur guéri continue à nourrir des rêves d’avenir, met les gens en jeu, appelle à l’engagement personnel et communautaire. Rêvez l’avenir. N’ayez pas peur« .

Le pape s’adresse ensuite plus particulièrement aux catholiques, en soulignant toute la portée de leur contribution dans le débat public, parce qu’ils sont capables de faire des propositions alimentées par la passion civile. Cette fois, c’est la foi marginale qui est sur le banc des accusés, la foi privée qui se résout dans le culte et l’enfermement parmi ceux qui pensent comme nous :

« En tant que catholiques, à cet horizon, nous ne pouvons pas nous contenter d’une foi marginale ou privée. Il ne s’agit pas tant de se faire entendre, mais surtout d’avoir le courage de faire des propositions de justice et de paix dans le débat public. Nous avons quelque chose à dire, mais pas pour défendre des privilèges. Non. Nous devons être une voix, une voix qui dénonce et qui propose dans une société souvent sans voix et où trop de gens n’ont pas de voix. Beaucoup, beaucoup n’ont pas de voix. Beaucoup, beaucoup. C’est cela l’amour politique, qui ne se contente pas de traiter les effets mais cherche à s’attaquer aux causes. C’est cela l’amour politique. C’est une forme de charité qui permet à la politique d’être à la hauteur de ses responsabilités et de sortir des polarisations, ces polarisations qui immiscent et n’aident pas à comprendre et à relever les défis.

Toute la communauté chrétienne est appelée à cette charité politique, dans la distinction des ministères et des charismes. Formons-nous à cet amour, pour le mettre en circulation dans un monde qui manque de passion civile. Nous devons retrouver la passion civile, celle des grands hommes politiques que nous avons connus. Apprenons de plus en plus à marcher ensemble comme le peuple de Dieu, à être un ferment de participation au milieu du peuple dont nous faisons partie. Et c’est une chose importante dans notre action politique, même pour nos pasteurs : connaître les gens, s’approcher des gens. Un homme politique peut être comme un pasteur qui va devant le peuple, au milieu du peuple et derrière le peuple. Devant le peuple pour baliser un peu le chemin ; au milieu du peuple, pour avoir le nez du peuple ; derrière le peuple pour aider les retardataires. Un homme politique qui n’a pas le flair du peuple est un théoricien. Il lui manque le principal.

Que les laïcs catholiques ne manquent pas de capacité à « organiser l’espoir ». C’est votre tâche, d’organiser. Organiser aussi la paix et les projets de bonne politique qui peuvent naître d’en bas. Pourquoi ne pas relancer, soutenir et multiplier les efforts pour une formation sociale et politique à partir des jeunes ? Pourquoi ne pas partager la richesse de l’enseignement social de l’Église ? Nous pouvons offrir des lieux de discussion et de dialogue et favoriser les synergies pour le bien commun. Si le processus synodal nous a formés au discernement communautaire, que l’horizon du Jubilé nous voie actifs, pèlerins de l’espérance, pour l’Italie de demain. Disciples du Seigneur ressuscité, ne cessons jamais de nourrir la confiance, certains que le temps est supérieur à l’espace. Ne l’oublions pas.

Nous pensons souvent que le travail politique consiste à prendre des espaces : non ! Il s’agit de parier sur le temps, d’initier des processus, et non de prendre des places. Le temps est supérieur à l’espace, et n’oublions pas qu’il est plus sage d’initier des processus que d’occuper des espaces.

Je vous recommande, dans votre vie sociale, d’avoir le courage d’initier des processus, toujours. C’est la créativité et c’est aussi la loi de la vie. Une femme, lorsqu’elle donne naissance à un enfant, lance un processus et l’accompagne. Nous devons faire de même en politique.

C’est le rôle de l’Église : nous impliquer dans l’espérance, car sans elle, nous administrons le présent mais ne construisons pas l’avenir. Sans l’espérance, nous serions des administrateurs, des équilibristes du présent et non des prophètes et des bâtisseurs de l’avenir ».