Liban – Les hôpitaux sont dans une situation « catastrophique »
Pour le directeur des soins médicaux au ministère de la Santé, il n’y a « d’autre solution que de boucler le pays ».
Catastrophique ! C’est par ce terme que le président du syndicat des propriétaires des hôpitaux privés, Sleiman Haroun, résume la situation dans laquelle se trouvent ces établissements dans la lutte contre le Covid-19, huit mois après la déclaration du premier cas au Liban, le 21 février. « Les hôpitaux sont saturés, déplore-t-il. Nous avons du mal à admettre les patients. Rien qu’hier (mercredi), nous avons mis plusieurs heures avant de pouvoir transférer un patient de Dora (Metn), vers un hôpital à Zghorta (Liban-Nord). C’est le même périple à chaque fois que nous nous trouvons devant un patient nécessitant une hospitalisation. Nous devons faire le tour des hôpitaux, sans pour autant être sûrs de pouvoir l’admettre. Même dans les hôpitaux dotés d’unités de Covid-19, des patients sont gardés dans les services des urgences parce que ces unités sont déjà saturées. Nous ne pouvons plus continuer ainsi. »
Le Liban compte 127 hôpitaux privés au sein desquels 400 lits uniquement sont dédiés aux soins de Covid-19, dont cent en unités de soins intensifs. Ce qui est insensé, alors que le pays a été entièrement bouclé pendant près de deux mois pour que les hôpitaux privés et publics se préparent à faire face à une pandémie qui ne pouvait – et on le savait déjà – que prendre de l’ampleur. Le secteur hospitalier, qui boitait déjà, a été mis à terre par la double explosion du port, quatre hôpitaux ayant été durement endommagés et 500 lits dédiés au Covid-19 perdus, comme l’avait alors signalé l’Organisation mondiale de la santé.
« La situation des hôpitaux est très mauvaise, affirme M. Haroun. L’aménagement d’une unité de vingt lits nécessite au moins 300 000 dollars à payer en devises et en argent comptant. D’où vont-ils se procurer cet argent ? Le problème c’est que l’État n’a pas les moyens de couvrir les frais d’hospitalisation en temps normal. Comment le fera-t-il avec l’épidémie? Le ministère des Finances a annoncé récemment avoir réglé 213 milliards de livres libanaises d’arriérés aux hôpitaux et qu’il s’était acquitté de ses dus. Comment cela peut-il être vrai, alors que les factures mensuelles émises par les hôpitaux à l’intention du ministère de la Santé sont estimées à 100 milliards de livres ? Donc, rien que pour 2020, le déficit se chiffre à plus de 700 milliards. Comment les hôpitaux vont-ils travailler s’ils n’ont pas les moyens ? À cela s’ajoute le fait que les fournisseurs refusent désormais de livrer médicaments ou dispositifs médicaux s’ils ne sont pas payés en argent comptant. Les hôpitaux privés sont devenus des boucs émissaires. Nous ne pouvons plus tolérer cette pression mentale qui nous tombe dessus. »
Le scénario italien
La situation risque d’empirer encore plus au fils des jours, selon M. Haroun. Ce que confirme de son côté Joseph Hélou, directeur des soins médicaux au ministère de la Santé. « Les gens sont insouciants, lâche-t-il. Ils n’ont pas raté une occasion pour sortir et se mélanger les uns aux autres. C’est maintenant que nous en payons le prix. »
Le Liban compte près de 250 lits en soins intensifs dans les hôpitaux publics. « Nous voulons augmenter le nombre de lits, mais malheureusement tous les hôpitaux ne veulent pas se joindre à cette bataille, critique-t-il. Seuls seize établissements privés ont mis en place des unités de Covid-19. Par ailleurs, d’un point de vue architectural, tous les hôpitaux ne peuvent pas aménager de telles unités qui doivent être isolées des autres départements. »
Pour M. Hélou, la solution consiste à « boucler le pays entièrement pendant un mois, avec des normes sévères quitte à imposer un couvre-feu et à sanctionner sévèrement les contrevenants ». Cela permettra « au secteur hospitalier et aux corps médical et infirmier de souffler, d’autant qu’un grand nombre du personnel soignant est atteint de Covid-19 ».
« Nous ne disposons pas d’autres solutions, martèle-t-il encore. Le ministre (sortant de la Santé) a appelé à deux reprises à le faire, mais c’est tombé dans l’oreille d’un sourd. Nous nous trouvons dans un tunnel sombre dont nous ne voyons pas le bout. Nous vivons le scénario espagnol et nous ne tarderons pas à expérimenter l’italien. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités. Il faut régler leurs dus aux hôpitaux pour qu’ils puisent travailler. Il faut agir vite, parce que nous sommes face à une situation exceptionnelle qui va s’aggraver encore plus avec la grippe saisonnière. »
Nouveau record avec 1 550 contaminations, la barre des 500 morts franchie
Au quatrième jour d’un nouveau bouclage de près de 170 villes et localités à travers le Liban pour tenter d’enrayer la propagation du coronavirus, le Liban a enregistré au cours des dernières 24 heures le nombre record de 1 550 nouveaux cas de Covid-19 (dont 79 en provenance de l’étranger) et 2 décès supplémentaires, selon le dernier bilan du ministère de la Santé publié hier soir.
Le nombre de cas cumulés depuis l’apparition de la pandémie au Liban en février s’élève désormais à 58 645, dont 501 décès. Au total, 25 694 patients se sont rétablis, alors que 625 personnes sont encore hospitalisées, dont 195 en soins intensifs.
Le collège des Frères du Sacré-Cœur, situé dans le quartier de Gemmayzé à Beyrouth, a dans ce cadre annoncé hier qu’un de ses élèves avait été testé positif. L’établissement a décidé, en accord avec le ministère de la Santé, de fermer temporairement ses portes et de suspendre les cours en présentiel, le temps de « stériliser et prendre toutes les mesures sanitaires nécessaires ». La direction du collège ne précise pas toutefois la durée de cette fermeture.
Par ailleurs, face à une augmentation localisée des cas dans la localité de Machghara, dans la Békaa, les autorités municipales ont décidé hier de boucler totalement le village samedi et dimanche. L’impact de cette mesure sera évalué dimanche soir afin de décider d’une éventuelle prolongation.
OLJ / Par Nada MERHI