La revue Popoli e Missione a recueilli le témoignage de sœur Mirna Farah : le Pays du Cèdre traverse une des phases les plus dramatiques de son histoire. Le conflit avec Israël s’ajoute à la crise économique et institutionnelle. « Popoli e Missione » (en avant-première du reportage qui paraîtra dans le prochain numéro de la revue) a recueilli des informations sur la réalité interne auprès de Myrna Farah, religieuse des Sœurs de la Charité de Sainte Jeanne Antida Thouret. « Quatre-vingt pour cent de la population vit dans un état de pauvreté et dans une situation de grande incertitude en ce qui concerne la nourriture, l’accès à l’eau potable et les soins médicaux. Les perspectives d’un avenir pacifique sont inexistantes et une guerre régionale est à craindre.
La mort de 12 jeunes garçons sur un terrain de football du plateau du Golan – région habitée par la minorité druze d’Israël – à la suite d’un tir de roquette attribué au Hezbollah, et la riposte des troupes de défense israéliennes (FDI) dans sept zones du Sud-Liban, ont transformé ce qui, il y a quelques jours encore, n’était qu’une hypothèse en une possibilité qui fait froid dans le dos. Washington, Londres et Berlin ont exhorté leurs compatriotes à quitter le pays, tandis que le porte-parole de l’Unifil – la force d’interposition des Nations unies au Liban -, l’Italien Andrea Tenenti, a qualifié le tableau de « préoccupant », sans toutefois fermer complètement la porte à la possibilité d’une action diplomatique. Certes, le massacre de Majdal Shams, le village druze du Golan syrien occupé par Israël en 1981, a considérablement compliqué les négociations, et ce au moment même où le chef du Mossad, David Barnea, le directeur de la CIA, William Burns, le premier ministre qatari, Mohammed Al-Thani, et le chef des renseignements égyptiens, Abbas Kamal, se réunissaient à Rome pour des négociations sur Gaza.
Un conflit latent. La situation dans la région varie d’un jour à l’autre et il est impossible d’établir des scénarios », explique Soeur Myrna Farah, religieuse libanaise des Soeurs de la Charité de Sainte Jeanne Antida Thouret : « Le 30 juillet, Israël a bombardé le fief du Hezbollah à Beyrouth, le quartier de Dàaheh, et nous ne savons pas avec certitude si Fouad Shukr, le numéro deux de l’organisation dirigée par Hassan Nasrallah, est mort ou non ». Tandis qu’hier soir, avec une précision chirurgicale, un missile a tué le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran. Il est clair que de tels événements peuvent faire dégénérer la situation en un instant et déclencher cette « guerre régionale tant redoutée ».
Un pays en difficulté. Cinq ans après l’éclatement d’une crise financière sans précédent et les soulèvements populaires contre une classe politique jugée maladroite et corrompue, le pays du Cèdre est littéralement en proie au chaos, sans gouvernement et avec le spectre d’un nouveau conflit armé avec Israël. Les quelques espoirs qui avaient accompagné les élections de mai 2022 ont vite été anéantis. Le Hezbollah a perdu sa majorité parlementaire mais a tout de même réussi à élire le président du parlement, l’inoxydable Nabih Berri. Aucun accord n’ayant cependant été trouvé sur le nom du président de la République (qui, selon la loi, doit échoir à un maronite), c’est le Premier ministre sunnite Najīb Mīqātī, en poste uniquement pour gérer les affaires courantes, qui en a assumé les fonctions à titre intérimaire.
« Le Liban est dans une situation très grave », poursuit Sœur Myrna, « le Parlement ne s’est pas réuni depuis pratiquement deux ans, malgré les très graves problèmes économiques, aucune loi n’a été faite, si ce n’est pour augmenter les impôts.
Pauvreté, inflation. Le chaos institutionnel et politique pèse d’abord sur la population. Quatre-vingt pour cent des Libanais vivent dans un état de pauvreté et de grande précarité en ce qui concerne l’alimentation, l’accès à l’eau potable et les soins médicaux. La dévaluation de la lire libanaise par rapport au dollar s’est établie, fin 2023, à 89 500 lires pour un dollar, après avoir culminé à 140 000 lires pour un dollar au mois de mai précédent ; tandis que l’inflation, au cours de cette même année 2023, a atteint le taux record de 225 %.
Résilience, douleur. Le peuple libanais fait preuve d’un grand esprit de résilience, explique Soeur Myrna, mais lorsque la douleur est trop grande, ils ne parlent plus et le silence devient la seule forme de langage. La population est tellement prise par les besoins élémentaires, manger, boire, trouver des médicaments, de l’essence, qu’elle n’a plus la force ni le temps de penser à autre chose qu’à survivre. Et contre qui protester alors, auprès de quelle institution ?
Le Hezbollah et l’Iran. Comme si tout cela ne suffisait pas, le « pays » vit désormais dans l’angoisse d’une nouvelle guerre avec Israël. Depuis le 7 octobre 2023, le Hezbollah a lancé de nombreux missiles contre son voisin en signe de solidarité avec le Hamas, recevant en retour plus de 1200 attaques sur ses frontières sud, attaques qui ont déjà fait des centaines de morts et de blessés et causé la dévastation d’une bande de territoire d’au moins cinq kilomètres de large, dans ce qui est par ailleurs la zone la plus fertile du Liban.
Les témoignages parlent de bombes au phosphore, de bâtiments entiers bombardés pour frapper tel ou tel leader politique, en fait une guerre de facto, même si elle n’est pas déclarée, qui met à genoux la population du Sud. Au moins 95 000 personnes ont été déplacées par ces mois de tension.
« Au Liban, il y a deux orientations, précise la religieuse, celle du Hezbollah, qui voudrait faire la guerre à Israël pour libérer les terres occupées, et les partis libéraux qui ne veulent pas s’engager dans ce Moyen-Orient qui ressemble à un volcan prêt à exploser. La stratégie des uns et des autres semble aujourd’hui être de jouer la montre. Tous deux mesurent les menaces et les conséquences d’une guerre, qui serait certainement une « guerre régionale ».
Reproduit par Agensir, Service d’information religieuse, avec le soutien de la Conférence épiscopale italienne.
Photo de couverture : Attaque du Hezbollah dans le nord d’Israël (ANSA)